Messagepar ambroisepare » 19 avr. 2014, 16:04
Mon cher Greg, qu'il me soit permis de reposter ici un texte que je t'avais dédié et qui me semble de circonstance. Comme tout le monde le sait ici, ton retour aux heures sombres, marqué par l'humilité d'un quasi anonymat a montré la grandeur d'âme et le coeur d'une fidélité qui n'a de valeur que lorsqu'elle s'exprime dans la difficulté.
Si le FC Metz retrouve la lumière, c'est parce que tu en as été le flambeau...
L’Honneur d'un Capitaine (texte publié le Jeu 16 Mai 2013)
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j'entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l'audacieux et farouche navire ;
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Etendu mort et glacé.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches !
Lève-toi - c'est pour toi le drapeau hissé - pour toi le clairon vibrant,
Pour toi bouquets et couronnes enrubannés - pour toi les rives noires de monde,
Toi qu'appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi ;
Walt Whitman
Ce vendredi soir, l'ultime représentation d'une saison accomplie de main de maître, va s'achever sous les vivats d'une foule bonhomme dont la rancune s'effacera dans la pluie de mai pour laisser place à l'espérance des conquêtes. Cette foule des grands soirs qui attire parfois le mépris des fidèles, cette foule curieuse de découvrir parfois des visages et des noms qui l'a rhabillé d' oripeaux de fierté, cette foule tapageuse qui s'en revient fêter les guerres finies pour en endosser le mérite juste avant la fin...
Le Destin, qui a l'ironie facile et le sens du symbole, fera se succéder sur la pelouse inondée de lumière, deux figures emblématiques, deux « pépés » flingueurs légendaires, deux figures d'exception, deux statues au panthéon des mythes grenats. L'un exercera son art dans le lever de rideau, aux cotés des grognards tutélaires d'une saga parfumée de l'encens du passé, l'autre, plus modestement, revêtira un bleu de chauffe moins rutilant, celui de l'artisan fidèle, modeste soldat inconnu médiatique, mais figure morale de la plus grande probité.
Entre Robert Pires et Grégory Proment il n'y a que l’abîme de la notoriété et la minceur d'une promesse...
L'ordre du Phénix
"Il sied d'être vertueux et de s'en cacher"
(Chevalier de Méré)
Le retour de Grégory Proment, dans les conditions que chacun sait ici, a relevé, avant toute considération, du pari sportif. Il y a eu, dans cette prise de risque, on l'oublie à l'heure des flonflons, pour Proment autant à perdre qu'à gagner, et si au final, les doutes se sont levés assez vite et malgré une baisse de régime passagère, le navire entre à bon port, grâce soit rendue à notre capitaine pour son rôle déterminant. Je passerai sous silence sa contribution sportive, rassurante et stabilisatrice, et je m'attarderai ici à sa contribution morale.
Il peut paraître surprenant d'évoquer dans le monde du football, fût-il du National, les notions de vertu et de probité morale. Nous savons tous ici que Grégory Proment a agi en homme de cœur, en gentleman et en fidèle. C'est dans l'engagement de son choix, dans ce courage, tel Ulysse, à ne pas entendre les sirènes du confort et l’appât des retraites dorées. Pour venir au chevet d'un vieux moribond, lui prendre la main et assurer, par sa présence même, le réconfort qui précède toute guérison. Alors quand demain soir il s'agira d'acclamer les héros, cette joyeuse synthèse de briscards revenus de rien et ces gamins effrontés de talent, ces seconds couteaux à qui on a donné une chance, alors dis-je, il conviendra de réserver un triomphe à celui qui a porté cette saison plus qu'un brassard mais l'attente toute entière du peuple grenat.
Nous savons tous l'incertitude qui plane sur son avenir. Nous devons, c'est notre devoir moral à nous envers lui, en comprendre les enjeux et en respecter la décision car il nous faut mesurer ce que son dévouement a engendré de sacrifices personnels au profit du collectif.
Alors de grâce n'exigeons pas trop de lui et offrons lui la garantie d'un respect qu'il a su gagner par sa droiture, la garantie d'une affection obtenue dans le déclin historique et morose d'une chute icaresque et l'assurance d'une gratitude acquise quelque soit son choix pour l'avenir. Fût il attiré par quelque gourmandise exotique, par des paris aventureux dans des émirats de mille et une promesses, voire de maharadjas rutilants de fatuité ou même par un retour en pays cauchois bovarien...
On ne lui en tiendrait pas rigueur, tant ses actes furent plus grands que ses paroles...
Le Retour du Roi
It was in the reign of George III that the aforesaid personages lived and quarreled; good or bad, handsome or ugly, rich or poor they are all equal now .
Carton final de Barry Lyndon, Stanley Kubrick
A lire la composition de l'équipe des anciens messins qui feront le lever de rideau demain soir, on a peine à réprimer le frisson de la nostalgie et l'on se berce tout à coup des échos de lointaines chevauchées, de clameurs vociférées par vingt mille poitrines, de roublardises généreuses, de tempéraments de feu où résonne le bronze des épopées. Les fidèles serviteurs de la bannière grenat me le pardonneront, mais mes pensées vont, à la lecture de la liste, vers les héros de l'aventure malheureuse de 98. De ce qui fut un apogée, il ne reste guère plus que le souvenir d'un rêve brisé, celui d'avoir été champion de France une vingtaine de minutes...
Dans l'exaltation d'une Place d'Armes gorgée de bonheur d'un village heureux d'avoir été second dans Rome, un jeune et bouillant Achille eut l’imprudence de prononcer un vœu...
Ce vœu, malencontreux et prononcé cependant avec la naïveté de celui qui croit à son propre engagement, allait devenir une arlésienne. On le sait, le désir grandit dans la patience des promesses. L'arlésienne ne parut jamais et l'évidence de l'écoulement du temps en scella le sort.
Or il advint qu' à l'occasion d'une fête familiale, revint l'enfant prodige. Demain soir, Robert Pires, revêtu de sa tunique de Nemesis grenat, foulera de nouveau la pelouse de St Symphorien. Il jouira sans doute de la gloire éternelle d'avoir été champion du monde, d'avoir vu sa carrière internationale brisée par l'obstination d'un seul voué à sa perte, et en ce jour de liesse propice aux pardons exaltés, on ne lui fera pas griefs de la maladresse d'un serment de jeunesse. Il en restera cependant quelques un, à la rancune tenace d'amoureux éconduits qui ne pardonneront pas la trahison... Il y en aura sûrement qui se prendront à rêver d'un retour quand même, avec cette foi du charbonnier qui ne s'embarrasse pas de cynisme et laisse toujours place à la confiance dans la nature profonde des hommes.
Le Cimetière de la morale
Car le paradoxe sera bien là tout entier. A ne pas tenir son engagement moral, Robert Pires, physique de télé, homme de radio et people plus qu' a son tour, restera dans la postérité qu'il s'est habilement construite et pourra même s'offrir le luxe d'un retour publicitaire, dans un stade qui n'a pas craint de scander son nom au cœur de sa disgrâce aux oreilles même de celui qui lui refusait la tunique nationale, un soir de Hongrie...
On pardonne tout aux enfants terribles, y compris l'ingratitude pour peu qu'ils sachent par le miel des mots et des fidélités verbales à vous faire croire que vous êtes dans leur cœur.
Et il y a ceux qui, par la rectitude de leurs actes, la modestie de leur honnêteté et l'humilité de leurs efforts sont condamnés à l'ombre de l'histoire.
J'ai écrit ce billet sans l'âme du polémiste, ayant pour Pires la reconnaissance du passé, et pour Proment celle du présent. Je n'ai couché ces quelques mots que dans le secret espoir que demain soir, le peuple grenat sache différencier dans leur affection : le célèbre à paillettes, qui mérite la curiosité des spectacles de cirque et l’honnête homme qui a par son engagement gagné plus que de la reconnaissance, une forme de grandeur morale.
Au coup de sifflet final, c'est ce héros là qu'il faudra encenser.
Et maintenant que le temps à passé et que nous voilà rendu au port, il serait bien qu'au soir de triomphe tout un peuple ait enfin de la mémoire, et qu'on ne t'oublie pas , Greg, dans la saveur d'un printemps de promesse et l'aube d'un renouveau...
