Messagepar MeTTz » 07 nov. 2024, 09:30
La jeune fille aux yeux gris
Antanarivo (Tana), capitale de tous les cauchemars, suinte la pauvreté, la tristesse, la violence et la prostitution généralisée. Il ne fait jamais beau à Tana, il n'y a jamais de soleil à Tana, il pleut de la souffrance à Tana.
Même quand il fait jour, il fait nuit à Tana. Tu ne parcours pas dix mètres dans les rues de Tana sans croiser la misère. A la campagne, la pauvreté se dissimule, à Tana elle t'explose en pleine gueule. Elle te suit sans répit, parfois te harcèle, souvent te bouscule. Tu ne peux pas croiser de regards à Tana, ils sont bien trop tristes et tu ne le supportes pas. Dans les cafés, bars et boîtes de nuit, c'est la même tragédie, le sexe tarifé se mendie sans limite, partout, à chaque instant et pour une poignée d'euros. Tout est autorisé, tout est permis sur l'autel de la survie. Tout s'achète et se vend à Tana, même la dignité. Et ça, tu n'y peux pas grand chose, tu ne peux pas sauver Tana.
J'étais assis à l'arrière d'un taxi, et il faisait nuit noire sur Tana. Les taxis ici, c'est des vieilles Peugeot 205, des deux CV, des Renault 4, 9, 12 toutes cabossées, à l'image de cette cité. Mon regard parcourait les détours et contours de la ville, jamais endormie.
J'ai croisé le sien quelque deux ou trois secondes, peut être quatre, je ne sais plus, mais ce dont je suis sûr, c'est que je n'oublierai jamais cette séquence, c'est une certitude. Elle restera gravée en moi le restant de mes jours, pour l'éternité, mon éternité. Elle se tenait assise, ou debout, je ne sais pas vraiment, et son visage émergeait dans la lumière de flammes échappées d'un petit brasier de charbon de bois incandescent. Sa famille, sans doute, partageait cet espace de survie. Il fait très froid le soir à Tana, tous les jours ou presque. Sa maison est un trottoir, son chauffage, du charbon de bois.
Ses yeux, d'une expression si intense et si forte, me dévisageaient par surprise. Ils me poignardaient, me transperçaient, me traumatisaient. Son visage était d'une rare beauté et dégageait une lumière si particulière au dessus des petites flammes de ce charbon de la misère qui se consumait pour la nuit. Deux ou trois secondes, peut être quatre, je ne sais plus, d'une incroyable puissance, d'une infinie tristesse.
Hier soir, la bière devait couler à flots, ce ne fut pas le cas, les larmes de mon cœur étaient à la grande ourse.
Je peine à écrire ces quelques lignes.
On ne sort pas indemne d'Antananarivo (Tana).
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MeTTz le 07 nov. 2024, 10:32, modifié 1 fois.